Les catholiques apprennent le «lobbying»
Alors qu’un livre sort sur « Les réseaux cathos », analyse d’une mutation qui fait passer l’Église d’une culture de mouvement à une culture de réseau Villeurbanne, en banlieue de Lyon. Au « Double-mixte », ils sont plus de 2000 cadres, souvent de haut niveau. Leur point commun : être chrétiens. Durant ce week-end de janvier, ils sont venus réfléchir aux moyens de trouver des modes de croissance alternatifs. De leur riche réflexion, personne n’en saura rien, sauf eux. Ce n’est pas l’objectif : le
Mouvement des cadres chrétiens (MCC)« n’a aucune légitimité pour dire ce qu’il faut faire » tranche son président, Ludovic Salvo. Pourtant, une belle palette de décideurs, actifs, souvent jeunes, était rassemblée là. Mais, rappelle leur aumônier, le jésuite Bernard Bougon, « pour eux, l’essentiel se vit ailleurs. Ils viennent ici prendre des repères comme chrétiens, pour ensuite les appliquer au travers de leurs responsabilités ».
La même semaine, députés et médias étaient inondés de mails protestant contre la disparition des fêtes chrétiennes du calendrier européen. Au point de contraindre le ministre chargé des affaires européennes, Laurent Wauquiez, à venir sur le plateau de TF1 défendre « l’Europe des clochers ». Qui a pris l’initiative de ce mouvement ? Qui l’a relayé, auprès de responsables politiques ? Difficile à dire, tant ce genre d’initiatives relève d’une organisation diffuse. Mais dans ce cas-là, les catholiques ont mis au service d’une revendication précise une force de frappe sacrément efficace. Tout comme les 700 « gisants » de
l’Alliance pour les Droits à la Vie (ADV), soutenus par 55 247 signataires sur leur site, qui, drapés dans des « linceuls », ont organisé, mardi soir 25 janvier, devant le Sénat un « happening » contre le projet de loi sur l’euthanasie. À telle enseigne que l’Union des familles laïques s’insurge de voir « le Vatican reprendre la main »…
Mobilisation rapide, pour une cause identifiée et clairement affichée, appuyée par quelques parlementaires réceptifs : ces nouvelles manières d’agir chez les catholiques, bien loin de la discrétion tranquille du rassemblement des cadres chrétiens de Lyon, sont à l’origine d’un livre sur le sujet, qui paraît ces jours-ci. Comme si, à la culture de mouvement, dans la tradition de l’Action catholique, avait succédé la culture du réseau.
"Ecouter la souffrance qui se présente à nous"
Pourtant, l’engagement des catholiques sur des problématiques d’actualité n’a rien de nouveau. Les mouvements d’Action catholique, des cadres aux médecins, des associations comme le
Secours catholique ou le
CCFD, des initiatives comme les
Semaines sociales sans oublier la galaxie de la presse chrétienne alimentent depuis des décennies une forme d’engagement dans la société. À la différence qu’aucun ne vise explicitement à « faire pression » sur l’opinion, mais plus à former des chrétiens à agir sans nécessairement afficher ses convictions.
« Nous cherchons d’abord à vivre notre foi dans notre travail, ce qui peut passer par la mise en sourdine de notre foi, pour écouter la souffrance qui se présente à nous » souligne le président du
centre catholique des médecins français, le docteur Bertrand Galichon.
Des réserves et des pudeurs que n’ont pas ces nouveaux « réseaux cathos ». « Pas le choix » explique d’emblée Pierre-Marie de Berny. Ce jeune dirigeant d’une entreprise de communication n’y va pas par quatre chemins : « Il ne reste que 4 % de catholiques pratiquants en France : que fait-on avec ce statut de minoritaire ? Quand on commence à devenir une minorité, l’opinion réagit. » Paradoxalement, c’est de cette faiblesse minoritaire que viendrait la force de ces nouveaux réseaux. « C’est aussi une question de générations », observe François Jeanne-Beylot, spécialiste en intelligence économique sur Internet : « Des catholiques plus décomplexés par rapport à leurs convictions religieuses arrivent désormais à l’âge des responsabilités. » « Les catholiques français ont longtemps intériorisé la laïcité. La nouvelle génération est plus attestataire » confirme un observateur de longue date comme le P. Henri Madelin, jésuite.
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Isabelle de GAULMYN |